Salées étaient les larmes et les embruns...
Il m'arrive quelques fois de déambuler sur les quais de ce port catalan. C'est à Port-Vendres où pour la première fois, je posais mes pieds d'enfant sur le continent. Moi qui rêvais d'avions, de nuages et de ciel bleu, c'est en bateau, sous une pluie fine fouettée par la Tramontane, qu'un matin, je débarquais.
La Compagnie de Navigation Mixte assurait une liaison régulière entre Alger et Port-Vendres. Elle assura l'exode finale, déposant dans ce petit port, les malheureux pieds-noirs brisés de chagrin. Salées étaient leurs larmes et les embruns...
Pendant les années de joie, de la baie vitrée de notre salle à manger, aux heures du déjeuner, deux gamins apercevaient deux bâtiments. L'El Mansour ou l'El Djezaïr quittant la rade d'Alger sous le soleil pour fendre les vagues vers notre autre pays, la France. Devant notre assiette, c'était à celui qui devinerait le premier son nom, avant de rêver la bouche pleine à cet autre paradis... plus beau que le nôtre ? Impossible !
Nous étions bien loin d'imaginer que nous pourrions un jour faire une traversée sur le pont de chacun d'eux et passer les grandes vacances dans le Roussillon. Malheureux présage de ce qui adviendra plus tard, dans la tragique histoire de l'Algérie.
Aujourd'hui, la nostalgie est presque effacée, mais les souvenirs sont là. Je donnerais cher, pour prendre la barre de l'une de ces carcasses et fondre toute sirène hurlante vers le sud. Salées seraient mes larmes et les embruns...(merci à la Collection association Port-Vendres des Paquebots pour ces deux photos)