Mille credos (suite)
La première neige ne cessait de tomber. Elle recouvrait maintenant la cour et le parc d'une épaisse couche. Octobre annonçait cette année, un hiver rigoureux.
Dans la grande salle d'étude, le vieux poêle à charbon ne parvenait pas à réchauffer les élèves. Ils étaient pourtant tous attentifs aux nouvelles diffusées par le haut-parleur accroché au dessus du tableau noir.
Le Pape Pie XII avait rendu l'âme dernièrement. Le conclave tardait à faire apparaître cette fumée blanche qui annoncerait ici, comme sur la place Saint Pierre de Rome, le fameux "Habemus Papam !".
La triste coïncidence avec le décés du Père Mathieu, illustre professeur de latin rendait l'atmosphère plus lugubre. L'enterrement devait avoir lieu dans la matinée, mais la neige risquait de perturber la cérémonie. Les gamins déjà transis de froid, ne se voyaient pas marchant dans la poudreuse en tenue de semaine. L'épais chandail marron sur la chemise cravatte kaki pouvait suffire, mais la culotte de velours laisserait cuisses et mollets aux morsures du vent d'Autan.
Pourtant le signal fut donné. Les élèves descendirent l'escalier de bois dans un bruit de tonnerre et se mirent en rang derrière quatre tambours en deuil (recouverts d'un voile noir). Le cliquetis des baguettes mit la troupe en marche et le roulement rythmé et sourd donna la cadence.
Le gamin leva la tête pour apercevoir à travers le squelette des branchages, un ciel gris. Les flocons sur ses joues brûlantes lui firent du bien, il fit un sourire à la neige. La neige qui, dans son Algérie natale n'existait que dans les livres d'images ou dans l'arrière pays trop éloigné. Sous ses pieds, elle craquait doucement et semblait l'inviter à de belles glissades.
Les tambours se turent, la troupe d'immobilisa dans un dernier pas frappé au sol. Dans les rangs, derrière, ils entendirent quelques bribes d'un discours vite expédié, suivis de quelques coups sourds sur une caisse et le bruit de cordages. Le petit leva une dernière fois la tête vers le ciel, ouvrit la bouche et tira la langue pour mieux sentir sur ses papilles les gros flocons qui tombaient maintenant. Il sursauta quand les cliquetis reprirent, comme si il se réveillait brusquement d'un joli rêve blanc. - Père Mathieu est dans l'trou, il ne verra plus la neige. se dit-il Requiem in Pace...(à suivre) ©Tchema 2011