Les Anciens de la Vieille Ecole...
Les vieilles pierres, les vraies, celles qui ont gardé à travers les siècles la fierté de n'être que taillées pour affronter le temps, celles qui ont usé l'homme avant de
céder à son désir de témoigner de l'histoire, ces empillements savants pointant un doigt accusateur vers les cieux menaçants, ajoutent aux souvenirs les décors des époques, des saisons, des
instants.
Aujourd'hui, on restaure pour conserver et surtout mettre en valeur ce que nous ne serions pas en mesure de refaire à l'identique. A l'instar de ce vieux village, les traits remarquables des maisons, des ruelles qui entourent la vieille école rendent presque charmants ces dédales ensoleillés pendant la fête de Pentecôte.
Pourtant, elles étaient bien sombres et souvent ruisselantes de pluie dans les yeux pleins de larmes du garçonnet fragile arrivant d'Algérie. Plus de cinquante ans après, il franchit une dernière fois, le lourd portail, passe devant la statue du Père fondateur, rejoindre pour quelques heures encore, les lieux de son enfance de rigueurs.
Il traverse les longs couloirs froids, se laissant envahir par le souvenir du brouhaha sourd des élèves regagnant les classes. Curieusement, il se dirige sans hésitation,
reconnaissant le chemin que tant d'années auraient pu effacer. Derrière cette imposante
porte, la salle des Illustres où l'assemblée prononçait les palmarès mais aussi les sentences. Là, sous les bustes poussiéreux, les élèves parfaitement alignés, immobiles et silencieux,
attendaient le verdict des censeurs redoutables... Puis, selon qu'ils méritaient couronnes ou "pendaison", ils rejoignaient la famille et la liberté ou le fond de la cour boisée pour
y cacher leurs larmes de tristesse, de colère et de mépris.
Ce dimanche dernier, le vieil homme assis sur un fauteuil roulant, traversait poussé par une bonne âme, cette salle où il oeuvrait jadis comme tribun puissant. L'obstacle d'une haute marche demandait de l'aide pour soulever le lourd fauteuil. L'élève de soixante ans vint ostensiblement au devant du vieillard souffrant, il fixa ses yeux dans le regard sénile et lui tournant le dos, s'éloigna lentement.
La chapelle désanctifiée pour les besoins du tourisme semble bien vide de tous les états d'âmes, les enfants y pleuraient ici aussi, souvent de chagrins, de froid, d'émotion quelques fois quand l'orgue entamait les classiques sacrées. Les quintes de toux cessaient lorsque les voix claires de la chorale unissaient chaque élève d'une belle fraternité.
Aux chapitres avancés de la vie, on a plus souvent recours à la mémoire, aux souvenirs gardés dans la boite à
merveilles, mais qui pâlissent bien vite dès qu'on les commémore.
Les us et coutumes servent de prétextes aux regroupement de ceux "qui-y-étaient", en ayant bien soin de faire régner une hiérarchie attribuant à l'âge le mérite d'une probable sagesse, sur les plus jeunes que la fraîcheur encore visible, rend presque effrontés.
A l'occasion toutefois, la curiosité partagée entre savoir ce qu'ils sont devenus et ressentir diverses émotions dans les lieux de l'histoire, notre histoire, il se peut que l'on cède au brusque retour du temps. Ce temps que curieusement l'on imaginait figé par notre propre destinée.
C'est alors que les détails reviennent sur le souvenir et complètent le tableau des instants oubliés. Odeurs, couleurs et sons, réapparaîssent dans les scènes rétros d'un festival de vieilles bobines...
On se rencontre, se reconnaît comme acteur probable d'une partie de la vie et le dialogue s'instaure à coup de : Te souviens-tu de... Je me souviens de ... Quelques fois même, les difficultés de l'identification réservent de douloureuses bévues : - Je me souviens de ton visage et de ton nom... - Il ne s'agit pas de moi, mais de mon frère qui me parlait effectivement souvent de toi.... -Ah, que devient-il ? ... - Il nous a quitté à la fin de l'année dernière !
Et nous voilà rendu au terme du vieux rêve, celui de revivre une dernière fois, une dernière fois seulement, les moments d'une enfance qui ne fut pas heureuse. Un peu
pour se convaincre de n'avoir pas menti, un peu pour être en joie de s'en être sorti. Ces cicatrices là, grâce à Dieu, resteront invisibles... Ultreïa !
(Tchema Mai 2010) Un diaporama est visible sur la colonne de droite de ce blog.